mardi 19 mai 2020



ATELIER DE SCULPTURE ET DE PRATIQUE EXPÉRIMENTALE.


Bonjour tout le monde,

Pour celles et ceux qui souhaiteraient aller plus loin que l'étonnement et approfondir, voici une chronique de Philippe Dagen, romancier et critique d'art, publiée dans le journal Le Monde du 20 juin 2012 à propos de cette exposition de Joana Vasconcelos au château de Versailles.

Joana Vasconcelos, une femme un peu trop libre pour la cour du Roi-Soleil

L'artiste provocatrice et féministe exposée à Versailles s'est vu censurer une de ses oeuvres, "La Fiancée", un lustre entièrement composé de tampons hygiéniques.
Par Philippe Dagen et Philippe Dagen Publié le 20 juin 2012 à 13h41 - Mis à jour le 26 octobre 2012 à 15h07
Temps deLecture 5 min.
Dans la galerie des Batailles du château de Versailles, Joana Vasconcelos, juste arrivée de Lisbonne, vérifie encore une fois la parfaite installation des trois gigantesques Walkyries qu'elle a suspendues en tirant parti de la hauteur et de la longueur de la salle. Toutes trois semblent des créatures marines fabuleuses, serpentines, tentaculaires, nouant et dénouant leurs courbes.
Deux d'entre elles font admirer leurs couleurs chamarrées, rouge, rose, vert, pourpre. Selon le principe propre à l'artiste dès ses débuts - elle est née en 1971 et expose depuis le début des années 2006 -, elles sont faites de tissus et de vêtements fabriqués au Portugal, jupes à fleurs, napperons aux broderies d'une extravagante complication, soieries pour rideaux ou fauteuils, guirlandes florales. La troisième, placée sous la coupole, est toute de moire argentée et dorée, d'une élégance plus sobre, mais d'un dessin fantastique - un baroque outré qui accumule surprises et raffinements. Les trois Walkyries sont suspendues au plafond ou aux colonnes par des systèmes de câbles en tension calculés par les ingénieurs qui l'assistent, comme la secondent les brodeuses et couseuses qui l'approvisionnent en étoffes réalisées d'après des traditions qui, dit-elle, sont en train de disparaître.
Pourquoi les Walkyries ? Parce que ces divinités nordiques étaient supposées se saisir des plus braves des guerriers morts au combat pour les emporter au Walhalla. Il est donc logique, fait observer l'artiste, qu'elle ait placé leurs effigies dans la galerie des Batailles, entre tant de toiles peuplées de soldats glorieux ou expirants. "Et puis, les Walkyries sont des divinités féminines, et comme je suis la première femme artiste invitée à Versailles..."
On verrait bien une autre justification. Ces cavalières chères à Wagner étaient aussi des combattantes comme Joana Vasconcelos, dont on aurait tort de croire que l'art serait juste aimablement décoratif. Au premier regard, sa Marilyn est une paire d'escarpins géants et brillants, installés dans la galerie des Glaces. L'allusion à la mode et à la séduction est transparente. Si ce n'est que ces escarpins de star sont faits de couvercles, casseroles et bols en Inox : des articles de cuisine pour ménagère modèle. La femme doit être cuisinière et séductrice alternativement : on connaît par coeur ce genre de stéréotypes, et Vasconcelos les inscrits avec une efficacité simple dans la forme et le matériau.
Il n'est pas plus fortuit qu'un autre assemblage volant qu'elle a placé dans un escalier se nomme Mary Poppins - qui était une femme libre et une suffragette dans le roman de Pamela Travers, bien avant le film des studios Disney. Les sculptures réparties dans le parc figurent une théière ou un candélabre : objets du salon et de la chambre. Même ironie, quand elle enveloppe de broderies pour mariées virginales les sculptures de deux lions martiaux. Si Joana Vasconcelos prend des airs de coquette, et surjoue la féminité, c'est pour mieux en dénoncer les lieux communs. Il n'est pas besoin de la questionner longtemps pour qu'elle reconnaisse la part de critique féministe qui sous-tend son oeuvre.
Elle la revendique d'autant plus volontiers que celle-ci est à l'origine des difficultés rencontrées par l'artiste dans le montage de l'exposition versaillaise. La Fiancée est l'une de ses oeuvres les plus célèbres. Présentée à la Biennale de Venise 2005, elle en était l'une des réussites. En forme de lustre XVIIIe siècle, elle est entièrement composée de tampons hygiéniques d'une blancheur immaculée. En 2001, Vasconcelos avait assemblé Carmen, en forme de lustre déjà, mais noir et agrémenté de dizaines de boucles d'oreilles vivement colorées. "La première question que nous nous étions posée, Jean-Jacques Aillagon et moi, quand nous avons commencé à réfléchir à l'exposition, c'était : où va-t-on mettre La Fiancée ? J'avais un rêve : obtenir que deux lustres de la galerie des Glaces soient détachés et suspendre à leur place La Fiancée à une extrémité, Carmen à l'autre, la blanche et la noire, la pure et la pute. Mais non, il paraît que ce sont des oeuvres sexuelles, et que ce n'est pas convenable à Versailles. Comme s'il n'y avait pas eu tant de femmes à Versailles et tant d'histoires de sexe !"
L'artiste est d'autant plus agacée - litote - de cette censure qu'elle a été près d'en subir une autre, pour La Perruque. La coquille de cet oeuf démesuré se fend pour que s'en échappent de longs cheveux bruns ou blonds. Il ne faisait aucun doute aux yeux de son auteur que l'oeuvre a sa place dans la chambre de Marie-Antoinette, près du lit royal. "Là non plus, ça n'allait pas. La direction du château n'était pas d'accord. Il a fallu que je finisse par dire que si La Perruque ne pouvait se trouver à cet endroit, il n'y aurait pas d'exposition. C'est quand même étrange : inviter ici pour la première fois une femme artiste, et faire obstacle à des oeuvres qui ont un rapport avec la féminité."
Joana Vasconcelos est même prête à voir dans la reine guillotinée une héroïne de la libération de la femme. Comme on s'en étonne, elle argumente : "Elle n'est plus la femme du roi, mais une femme politique, exécutée pour cette raison. Son exécution est l'un des tout premiers moments de l'émancipation de la femme. Sans elle, je ne serais pas ici." Ces propos sont tenus devant un hélicoptère de marque Bell, qu'elle a peint, doré, orné de cabochons de verre et paré de plumes d'autruche teintes en rose. L'anachronisme est digne d'une autre Marie-Antoinette, celle de Sofia Coppola. Pourquoi des autruches ? "Parce que Marie-Antoinette les adorait et en élevait dans le parc du château pour pouvoir en orner ses chapeaux." Et pourquoi sur un hélicoptère ? Parce que déguiser ainsi cette machine destinée si souvent à la guerre est encore un de ces détournements satiriques que Vasconcelos aime à réaliser, jouant de l'élégance comme d'un masque vénitien.
On fait la même chose pour Subodh Gupta? Voici un lien qui vous conduira vers un article assez complet sur ses travaux, objets de ma précédente communication.
Bonne lecture.
Marianne Ponlot, professeur de Sculpture et de Pratique Expérimentale.

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